Dans une vibrionnante tribune intitulée « En France, les femmes sont libres » (Huffington Post, 05/09/2016) Manuel Valls s’est fixé dernièrement un nouveau challenge pédagogique: faire entrer dans le crâne d’une journaliste étrangère les concepts de principes républicains et de laïcité à la française. A lire ses explications pour le moins embrouillées, on devine que la tâche est rude. D’ailleurs il concède, bon prince, à propos de la laïcité: « Je sais combien cette singularité française a du mal à être comprise à l’étranger ». Car il faut bien le reconnaître, la laïcité « à la française » n’a pas grand-chose à voir avec celle des autres. Il en va de même pour les « principes républicains », inconnus dans le reste du monde, ce qui explique le fait qu’en France les femmes soient libres, contrairement à celles qui vivent ailleurs.
Difficile de lui donner tort: nos principes ne manquent pas de susciter la perplexité hors de l’hexagone, notamment à l’ONU qui voit dans les arrêtés anti-burkini une « interdiction discriminatoire » et « stupide » (Le Monde 30/08/16). Certains ont du mal à comprendre qu’au pays autoproclamé de la liberté et de la tolérance, celles-ci doivent s’exercer sous contrainte policière, à coups de procès-verbaux et d’humiliations publiques. Prompts à s’imaginer les Français comme autre chose que des animaux, ils continuent à ne pas voir ce qui fait notre singularité : la passion de l’obéissance.
La France étant aussi le pays de l’égalité. Il y a bien quelques inégalités ici ou là (une personne sur sept sous le seuil de pauvreté), qu’on s’emploie naturellement à « réduire », sans le moindre résultat car les inégalités c’est un peu comme le terrorisme ou la sclérose en plaques, un phénomène quasiment impossible à expliquer, et contre lequel on lutte avec les moyens du bord, c’est-à-dire en commençant par relativiser les choses. D’autant que les prêcheurs de la gauche libérale nous mettent régulièrement en garde: à trop vouloir prendre ces questions au premier degré, on a vite fait de basculer dans l’extrémisme, quitte à se retrouver à la lisière du fascisme (c’est marrant que ce soit la socia-lie qui parle du fascisme quand on sait ce quelle à fait en Allemagne, il y a quelques décennies…) Est-ce bien raisonnable?
Pour rester fréquentables nous avons donc mis le social de côté au profit des valeurs, notion suffisamment protéiforme pour que tout le monde s’y retrouve, et auréolée d’une noblesse indéfinissable. Nous avons pris de la hauteur vis-à-vis des sempiternels clivages partisans, et pour réaliser ce bond qualitatif il a suffi de ressortir de nos armoires l’imagerie des années trente, avec ses démocraties, ses dictateurs, son Bien et son Mal absolus. Désormais c’est pour la démocratie et elle seule que nous roulons, à l’image de nos aïeux unis dans la résistance contre la dictature et la barbarie. A présent que les idéologies ont prouvé leurs dangers, comme on dit, s’avouer de droite ou de gauche n’émeut de toute façon plus grand-monde. On peut même être des deux à la fois, ce qui n’est pas un mince progrès, et exercer sa liberté d’opinion sans se sentir obligé d’en avoir une.
Notre ennemi …. (est variable à la tête du prince et du non-vouloir su peuple. Il n’est donc pas ce qu’il est sensé être)
Pacifistes, forcément pacifistes
L’actuelle incarnation du Mal, l’ennemi public numéro un du monde libre, c’est bien sûr et plus que jamais le président syrien, « dictateur sanguinaire qui tue son propre peuple » depuis plus de cinq ans, alors que tout le monde pensait que ce serait l’inverse.
Aussi elliptique que faire se peut, le chef de l’État ne juge pas utile de préciser qui sont les rebelles en question, ni ce qu’ils ont fait au juste pour mériter tout notre soutien, ni en quoi ils préparent une démocratie quelconque. Il lui a suffit de mentionner qu’ils « faisaient face […] aux armées du dictateur Bachar al-Assad » pour que nous les parions automatiquement de toutes les vertus.
«Il y a aussi des sunnites pro-Bachar al-Assad, et les rebelles n’ont pas le soutien de la majorité» (cath.ch). Il faut avouer qu’en France, c’est un peu pareil: les auteurs d’attentats et les tueurs de flics ne jouissent pas non plus d’un franc soutien de la population, et nous avons sûrement des progrès à faire de ce côté-là.
Quant au Monde, il a fait ce qu’il sait faire le mieux, c’est-à-dire ne pas informer du tout, histoire de continuer à nous vendre le plus longtemps possible ses « manifestants pacifistes ». C’est ainsi que le 19/03/12, on y découvre « [qu’]un an après le début du soulèvement, le terrorisme et la lutte armée sont en train de prendre le pas sur la protestation populaire ». Si la foule avait mis le feu au Palais de justice de Paris, Le Monde aurait-il mis là aussi un an à s’en apercevoir?
« L’engrenage infernal »
Pour embobiner convenablement l’opinion, il faut souvent se résoudre à inverser la chronologie des causes et des effets, quitte à sombrer dans l’invraisemblance la plus caricaturale, qui est devenue la marque de fabrique du Monde (exemple parmi bien d’autres, mais qui reste quand même un modèle du genre). Dans le cas syrien, l’enchaînement des événements est présenté selon un ordre immuable, destiné à valider en continu le radotage présidentiel, en vertu duquel « Bachar Al-Assad est à l’origine du problème » (Le Monde, 28/09/15).
C’est un véritable déchirement pour François Hollande, qui « s’était toujours refusé à frapper l’Etat islamique en Syrie » car ce n’est jamais très loyal de bombarder ses amis, et en l’occurrence « qui frappe Daech conforte Bachar », analyse Le Monde du 02/11/15. Qu’à cela ne tienne, notre champion de la synthèse par le bas lutte désormais contre « l’alliance du terrorisme et de la dictature » (Le Monde, 28/09/15), expression qui suppose que non content d’être un tyran, Assad est par-dessus le marché un parrain de l’Etat islamique, c’est-à-dire l’allié de ceux qui ont juré sa perte. Le paradoxe n’est qu’apparent, si on en croit l’argumentaire pour le moins expéditif d’Atlantico (10/09/15): « Assad est cynique au dernier degré. Il a contribué très directement à la montée en puissance de l’EI, jouant comme tous les dictateurs la politique du pire » [1]. Bref, c’est en quelque sorte le dictateur idéal, père de toutes les calamités, y compris de ses propres déboires et de l’internationalisation du conflit.
Elizabeth Hoff, représentante de l’Organisation mondiale de la santé en Syrie, s’adresse au Conseil de sécurité de l’ONU le 21/11/16: « Avant le début du conflit, la Syrie avait l’un des systèmes de soins de santé les plus avancés du Moyen-Orient. Tandis que le pays atteignait la catégorie des pays à revenu intermédiaire, […] les taux nationaux de couverture vaccinale étaient de 95 %.
Liberté et dignité, des slogans porteurs
Certains pourraient se demander comment le chef de l’État, obsédé par la liberté d’expression au point de livrer des missiles antichars à des marcheurs pacifistes, a pu oublier de distribuer des tasers, des flash-balls et des fusils à pompe aux manifestants français contre la loi travail, de façon à ce qu’ils puissent faire jeu égal avec la police qui leur balançait des grenades à tout va, quand elle ne leur fonçait pas dessus en camion. (C’était une préparation à la preuve par Nice… Il faut bien s’entraîner comme on, ^peut et avec qui on peut) Mais comment mettre dans le même sac un peuple entier (22 millions d’habitants) aux prises avec un despote, et une poignée de « casseurs » de la CGT qui se prélassent au pays de la liberté et de l’égalité? Car toutes les revendications ne se valent pas.
« Nous ne pouvons plus avoir dans les semaines qui viennent de telles manifestations sur Paris, […] avec l’hôpital Necker qui a été dévasté, c’est insupportable », s’alarmait Manuel Valls sur France Inter le 15/06/16 à propos d’un bris de glace, événement impensable dans un pays comme le nôtre. « Les casseurs voulaient tuer des policiers », tweetait-il fébrilement dans la foulée.
Quand des hôpitaux sont attaqués à Deraa et que la police se fait tirer dessus réellement, personne ne parle de casseurs car sous un régime qualifié par nous de dictature, on estime que chacun a le droit de faire ce qui lui chante – meurtres, pillages, etc. – en vertu du principe que la démocratie n’a pas de prix. En France, « pays des Lumières et des libertés » dont se gargarise Manuel Valls, ce n’est évidemment pas la même chose, et il est bien naturel que les manifestations soient considérées comme une atteinte à l’État de droit, les grèves comme des prises d’otages, et les militants de gauche comme des terroristes. Il n’est pas moins naturel que le gouvernement impose à coups de 49.3 une loi rejetée pendant des mois par les deux tiers de l’opinion. Un pays comme le nôtre, soumis à un état d’urgence permanent, à une propagande hystérique et à une surveillance de masse sans précédent, correspond en tous points à ce que nous avons l’habitude de nommer une démocratie moderne.
L’art de rester soi-même
L’opinion publique, obstacle à la libération des peuples
Spécialiste de l’initiative citoyenne, Daniel Cohn-Bendit est catégorique: « Je suis contre le peuple », s’égosille-t-il (qu’elle trahison de Mai 68!). « Il faut arrêter de dire que le peuple a toujours raison ». En effet, le problème avec les peuples c’est que leur notion de la démocratie ne coïncide à peu près jamais avec la nôtre, ce qui nous force en général à intervenir militairement. C’est notamment le cas dans nos anciennes colonies (dont la Syrie), pour des raisons culturelles évidentes, puisqu’elles ont cru bon de s’émanciper avant que nous ayons eu le temps d’achever leur éducation.
Le vote, un danger majeur pour la démocratie
Il faut dire qu’en juin 2014 Bachar El-Assad n’a rien trouvé de mieux que d’organiser une élection présidentielle et de la gagner – typiquement le genre de provocation qui passe mal auprès du président français, tellement carbonisé dans l’opinion qu’il a dû renoncer à se représenter en 2017, et de ses camarades spécialistes de la guérilla urbaine.
La démocratie ne peut-être décrétée par l’étranger. Elle doit venir des entrailles du Peuple. Si le peuple ne la réclame pas (par volonté ou par incapacité liée à son immaturité), l’imposer par l’extérieur c’est la condamner à périr…. Nul du peuple ne versera son sang pour la sauver (surtout quand on voit, beaucoup plus tard, le mépris accordé aux enfants de ceux qui ont été assez cons….. http://wp.me/p4Im0Q-1nR)
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